Le projet Global Race
Description du projet
Le projet Global Race porte sur les reconfigurations du racisme et du concept de race depuis 1945 dans le contexte du développement des politiques antidiscriminatoires. Il entend examiner les différentes théories et stratégies pratiques à l’égard de la référence à la race et à l’ethnicité dans le champ scientifique, les politiques étatiques et les mouvements sociaux. Pluridisciplinaire par ses objets, le projet mobilise la démographie, la sociologie, l’histoire, la science politique, la philosophie et le droit. Les terrains d’investigation empirique porteront, outre les organes internationaux et régionaux de défense des droits fondamentaux, sur trois aires régionales présentant des profils contrastés du point de vue de la relation au référentiel racial : Amérique du Nord, Amérique latine et Europe.
A la suite de la Seconde Guerre mondiale, la communauté internationale adopte une stratégie antiraciste proactive, fondée sur la réaffirmation du principe fondamental d’égalité sans distinction de race ou d’origine ethnique. En parallèle, la réfutation des théories pseudo-scientifiques de la race conduit à une disqualification générale de la catégorie de race pour décrire les populations humaines. Cette disqualification ne signifie toutefois pas que la notion de race cesse d’être utilisée. Alors que la plupart des nations européennes s’accordent pour considérer la race et l’ethnicité comme des idées fallacieuses responsables du racisme, certaines d’entre elles continuent d’utiliser ce type de catégorisations dans leurs empires coloniaux, et un nombre non négligeable d’Etats à travers le monde continuent de recourir à des catégories ethniques et raciales comme outils de description ordinaires de leurs populations. Ces compréhensions contrastées et contradictoires du concept de race se retrouvent dans les modalités des politiques antidiscriminatoires mises en oeuvre :
- d’un côté, les stratégies "color-blind" considèrent que la race et l’ethnicité ne doivent absolument pas être prises en compte pour atteindre un objectif d’égalité;
- de l’autre, les politiques "race-conscious" s’appuient sur l’idée que l’éradication du racisme et de la discrimination nécessite un suivi des groupes racialisés.
Sans trancher entre ces deux options, les agences internationales de lutte contre les discriminations ont imposé à leurs Etats membres de réaliser un suivi et de produire des rapports sur l’existence et les conséquences du traitement inégalitaire des groupes racialisés. Dans cette optique, des données portant sur la race et l’ethnicité doivent nécessairement être collectées. Cette stratégie est connue sous le nom de tournant pragmatique. A l’encontre des définitions biologiques et essentialistes, la race et l’ethnicité sont désormais conçues comme des catégories socialement construites, mêlant ascription et auto-identification. En parallèle de cette redéfinition de la race et de l’ethnicité, le racisme a également connu des évolutions profondes. Le racisme flagrant fondé sur une idéologie de hiérarchisation des races biologiques a ainsi cédé la place à un racisme plus subtil, qui se nourrit de la circulation de stéréotypes d’ordre culturel et de divers préjugés. De nouvelles théories sur "le racisme sans race," ou même sur "le racisme sans racistes", ont ainsi vu le jour pour rendre compte de ce nouveau contexte.
Les questions que nous abordons dans ce projet se situent à l’intersection de la littérature sur la race et l’ethnicité, l’évaluation des politiques publiques antidiscriminatoires et l’analyse de la circulation internationale des politiques publiques et de leurs orientations. Quand et comment la stratégie de disqualification de la race a-t-elle commencé à être accompagnée - si ce n’est remplacée - par une stratégie visant à compenser les effets de la race en contrôlant ses pratiques et leurs conséquences ? Est-il possible d’en déduire que les objectifs de ces politiques ont évolué d’une approche "color-blind" à une approche "color-conscious" ? Une "troisième voie" combinant une approche "race-blind" dans la législation et une approche "race-conscious" dans les politiques publiques est-elle observable dans certains cas ? La convergence des organismes internationaux de lutte contre les discriminations sur la question de collecter des données ayant trait à la race et l’ethnicité va-t-elle conduire à une nouvelle globalisation des enjeux ethniques et raciaux ? Quels sont les débats et les controverses qui découlent de cette évolution ?
Ces questions seront abordées à travers trois terrains complémentaires :
- Un état des lieux théorique et conceptuel sera consacré aux évolutions qu’ont connues le concept de race et les formes du racisme. Il s’agira de décrire les changements qui ont eu lieu dans la façon de conceptualiser la race dans différents domaines d’usage (politique, légal, scientifique, statistique), dans une perspective de comparaison internationale.
- Un deuxième terrain portera sur les arènes internationales - agences internationales et régionales de protection des droits de l’Homme - et sur leur contribution à la production et la dissémination de standards raciaux dans le champ légal, politique, statistique et intellectuel.
- Un troisième terrain consistera en 10 études de cas par pays en Europe, Amérique du Nord et Amérique du Sud, et explorera dans chacun d’eux l’articulation entre politiques antidiscriminatoires et catégorisations ethniques et raciales dans les statistiques officielles et scientifiques.
Responsable du projet
Patrick Simon (INED)
Durée du projet
48 mois, à compter de décembre 2015.
Institutions partenaires
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Humanae Project (© Angelica Dass)